Insularité

Vivre à l'internat

décembre 03, 2018 Moana Iti 0 Comments




C'est la rentrée, cinq heure du matin, premier réveil à l’internat pour les plus jeunes, les visages sont marqués, les regards vitreux, les premières nuits sont souvent difficiles.

Je les réveils en douceur car c’est le début de longues journées réglées comme du papier à musique : 6h petit déjeuner, 7h début des cours, 16 heures ouverture de l’internat, 16h30 activités ( sport, culture ect…), 17 h 45 cantine , études de 18 h 45 à 20h30, 21 h extinction des feux ( vini et écrans interdits ).

A la pré-rentrée nous accueillions les familles et les élèves afin de visiter l’internat, pour certaines jeunes filles des îles c’est la dernière fois quelles verront leur famille avant les prochaines grandes vacances ( Décembre ). Je perçois l’appréhension, l’inquiétude et quelques larmes dans le regard des parents et des enfants. On essaie de les rassurer avec cette douceur polynésienne que je ressens souvent au contact de ces familles des îles.
La bienveillance est un sentiment affectueux souvent perçu comme une naïveté confondante dans une société moderne fondée sur l'ambition et l'égocentrisme. Mais, cette bienveillance polynésienne est une aptitude naturelle au courage et à l'intelligence dont l'ambition a besoin.


Les jeunes intègrent l’internat pour diverses raisons : isolement géographique, complexités sociales ou familiales etc.
L’internat n’est pas un huit clos étouffant et monacale. Les jeunes y apprennent à vivre ensemble et finissent par former une famille qui sait se soutenir dans l’épreuve mais également s’accorder des moments de connivence et de détente. Les enfants polynésiens sont issus d’un millefeuille identitaire complexe ( métissage chinois, occidental, polynésien etc…), l’échange entre les différentes insularités favorise néanmoins l’ouverture à l’autre et stimule la curiosité, des prédispositions nécessaires pour construire leur vie d’adulte et entrer dans le monde actif.

Les maîtres et maîtresses d’internat ont pour mission d’assurer le suivit pédagogique de l’enfant tout en veillant à son bien-être. Le soir, lorsque le lycée ferme, nous prenons le relais et endossons plusieurs casquettes afin de remplir notre fonction correctement : maman, psychologue, assistante sociale, infirmière, aide aux devoirs, pompier (éteindre les débuts d’incendies afin d’assainir les conflits) etc.
Les élèves en difficulté peuvent trouver un équilibre à l’internat, car ceux qui refusent la contrainte parentale ou vivent dans des situations sociales précaires s’accommodent d’une autorité plus neutre affectivement, de repères et de règles qui les rassurent.

La Polynésie c'est une superficie aussi grande que l'Europe, 118 îles regroupées dans 5 archipels. Les contraintes scolaires obligent souvent les enfants des îles à quitter très tôt leur mode de vie insulaire où une vie simple, libre et protégé avec leurs familles était le ciment de leur éducation dans une quiétude hors du temps loin du bruit et de l’énergie de Papeete. Une de mes petites originaire des îles Marquises atteinte de difficultés respiratoires m’a dit un jour : « madame, quand je suis sur mon île, je vais faire du cheval avec mon frère dans les montagnes, j’ai plus d’asthme. Mais depuis que je suis à Tahiti, je suis tout le temps malade. »


L’acclimatation peut-être donc difficile à Tahiti, où les jeunes, brutalement livrés à eux-mêmes, sont désorientés dans une cité urbaine tumultueuse, polluée et sont parfois enclins à adopter les travers de la vie citadine. Beaucoup de jeunes internes doivent parfois errer de foyer en foyer, car les familles d’accueil se désolidarisent d’une mission devenue trop lourde à assumer. Malgré les difficultés d’hébergement, loin du cocon protecteur de l’internat et de leur famille, malgré le choc culturel, le sentiment de déracinement, certains élèves arrivent néanmoins à poursuivre une scolarité exemplaire en faisant preuve d’une belle détermination.


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