Insularité

Covid 19 Tahiti. Le virus a révélé un fossé social qui se creuse

mars 23, 2020 Moana Iti 0 Comments

Enfants de notre quartier social de Paea 



« Nous sommes en guerre » : c’est sur un ton martial  que le président Macron a annoncé ce que nous avons tous perçus comme une militarisation du confinement.

 

En Polynésie la menace est arrivée le 11 Mars dans un avion qui a parcourus les 15 000 km qui nous sépare de la métropole. Nous devions tous obéir aux injonctions du Haut Commissaire, représentant de l’Etat local, le confinement forcé a été établit le 21 mars 2020 sur tout le territoire de la Polynésie française. 

La sommation à ne pas s’approcher de nos proches, à tenir nos distances vis à vis des autres, a constitué  un défi, une attaque frontale contre le meilleur de notre nature : la sociabilité.

En Polynésie notre hospitalité est souvent célébrée par les touristes comme notre plus grande vertu. Nous devions alors affronter notre incrédulité face ce phénomène qui a provoqué une rupture brutale dans notre culture du partage, de la parole et de la compassion .



AVANT Le confinement dans notre grand lotissement social de Paea. Les mamans mettent les chaises dehors pour profiter de la fraîcheur de la fin d'après-midi. Les enfants jouent, les jeunes s'amusent aussi ! ( Photo prise en 2016 )



Ensuite, il a fallut subir l'épreuve du confinement dans les foyers modestes où l’on vit dans une promiscuité permanente. Vivre à distance est un luxe, alors que ceux qui ont les moyens vivent mieux leur confinement en bénéficiant d’espaces plus grands et moins anxiogènes. 


Notre peuple a abandonné son mode de vie traditionnel pour suivre la route de l'exode qui les menaient vers les lumières de la ville. 

Dans les quartiers défavorisés de Tahiti, les gens vivent à l'extérieur car dans chaque maison c'est un mille feuille de générations qui cohabitent parfois à 20 dans un 3 pièces.

Beaucoup de familles pauvres, malgré la chaleur étouffante, restent confinés chez eux, entassés les uns sur les autres dans des conditions et un climat social difficiles. ( lien : suroccupation des logements pendant le confinement



5eme jour de confinement, même endroit, rue déserte, Juste une mama qui ramène du pain quelle a acheté au magasin. ( Photo prise le 25 mars 2020 )



La continuité pédagogique ( l’école à distance ) est un luxe aussi car impossible de faciliter l’accès à internet  aux populations modestes ou isolées ( îles, vallées ) qui en plus n’ont  pas d’ordinateur. Elèves dans les îles, professeurs à Tahiti, connection internet mauvaise ou inexistante, néanmoins les mairies se mobilisent pour distribuer les devoirs à domicile. Assurer la continuité pédagogique est une défi aussi immense que le territoire vaste et fragmenté qu’est la Polynésie.


Double peine aussi pour cette armée d’invisibles indispensables dont les conditions de travail étaient déjà pénibles. Les ouvriers, caissières, manutentionnaires etc … hier méprisés, aujourd’hui devenus nos héros du quotidien. 

Dans cette société capitaliste ceux qui sont en bas de l’échelle nous protègent aujourd’hui en mettant en péril leur propre vie.


N’oublions pas que La population  ( très nombreuse en Polynésie ) qui vie en dessous du seuil de pauvreté et qui est la plus nombreuse à souffrir de pathologies liées à leur mode de vie ( maladies cardio vasculaires, diabète, pathologies liées à la consommation d’alcool, troubles mentaux et du comportement...)  occupe souvent des emplois de service.

Cette crise sanitaire mondiale sans précédent a révélé et amplifié les inégalités sociales déjà existante en Polynésie. 

Beaucoup d’emplois sont informels, la vie se décline au jour le jour, la fermeture de certains pôles économiques et le confinement de la population sont presque catastrophiques. Cela a grévé le budget familial au sein de cette population déjà fragile qui s’appauvrit encore plus. ( lien : aides sociales PC de crise covid 19 Polynésie



Le virus a dévoilé un
fossé social qui se creuse en Polynésie.  Pendant que les écologistes nous mettent en garde en appelant à plus de sobriété moins de matérialisme et de consommation. Nos pauvres qui doivent lutter pour leur survie encore plus aujourd’hui qu’hier, n’aspirent qu’à conjurer leur sort. 

Leur idéal de vie meilleure ce n’est pas une utopie verte, mais de souhaiter le confort de ceux qui ont une meilleure situation sociale. 


Déjà affectés par le traumatisme du consumérisme occidental et l'acculturation imposés par la colonisation et l'ouverture au monde. Le 11 mars 2020 nous devions faire face à une autre menace venue de l'extérieur qui a fragilisé encore plus notre insularité.



Enfants plage Laguesse de PAEA en face de notre quartier social ( Photo prise en 2012 ). Lieu de rencontre et de baignade dans le lagon insalubre pour les jeunes du quartier.