InsularitéCovid 19 Tahiti - Notre insularité face à la menace venue de l’extérieur
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MAKATEA |
Qui aurai cru que cette vague qui a emporté toute la planète allait aussi s’échouer sur nos rivages. Sur nos îles lointaines qui sont comme des poussières d’étoiles disséminées sur un territoire immense.
Sur nos îles du bout du monde, notre civilisation insulaire était déjà confinée sous une cloche imprégnée de mythes et de légendes, promesse d’évasion et d’aventure pour les continentaux. Conscients néanmoins de notre solitude absolue devant le gouffre infini de l’horizon liquide qui nous entoure.
Pour rompre cet isolement géographique, nos anciens avaient créé un lien interilien et fondé notre civilisation polynésienne sur des valeurs d’homogénéité culturelle, de sociabilité et de propension à l’action collective.
Cependant, nous avions besoin d’ouverture pour exister. La colonisation a accéléré ce processus, nous avons ouvert nos portes, aux échanges aériens, à la communication et à la société globalisée de consommation. L’ouverture vers l’extérieur nous a contraints à assimiler une hybridation culturelle qui a bousculé nos modes de vie.
L’ouverture de nos îles aux grands vents du large nous a donc aussi mis en danger .
Reclus sur leurs îles, la nature conditionnait la vie des hommes et des femmes qui avaient appris à s’adapter aux catastrophes naturelles ou aux pénuries alimentaires avec beaucoup de flexibilité ( Rahui, migration d’îles en îles ).
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Marquisiens tatoués, photo Studio Hoare, vers 1880. |
Mais dès les premiers contacts avec l’extérieur le déclin s’est amorcé : Maladies et épidémies importées qui ont décimés et fragilisé les natifs ( aux Marquises, des 25 000 à 30 000 Polynésiens en 1840 il n'en restait plus que 2 255 en 1926. ), comorbidité élevée liée au mode de vie sédentaire et à une alimentation industrielle.
Tous ces facteurs expliquent sans doute la terreur qui s’est vite propagée au sein de la population locale. Lorsque le 11 mars un nouveau danger est arrivé par avion sous la forme d’un germe mortel qui a transformé nos îles en cachots humides. Plus isolés que jamais. Cette nouvelle menace nous a fait prendre conscience de notre vulnérabilité absolue face au mal environnant.
Alors que nos ancêtres vivaient dans un schéma traditionnel autonome et organisé qui garantissait leur survie.
Aujourd’hui notre changement de mode de vie a fortement augmenté notre dépendance et le besoin vital de protection assurés par le paternalisme occidental. La colonisation nous a domestiqué en apportant une culture du progrès supposée disposer de compétences et de moyens pour nous protéger.
Nos institutions ont bien essayé de tenir le cap face à la tempête qui allait s’abattre sur nos îles. Mais derrière le vernis de leurs discours de temporisation, nos politiques essaient de masquer les carences de moyens dont dispose l’Etat pour gérer cette crise sanitaire. Rideau de fumée sans doute nécessaire pour éviter que la population ne sombre dans le chaos.
Le 11 mars 2020 notre population s’est repliée dans la peur, drapé dans une atmosphère crépusculaire, nos îles se sont transformées en terre de désolation. Le sourire légendaire de notre peuple s’est estompé pour se dissimuler derrière un masque synthétique.
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Pêcheur de MAKATEA |
Mais sur les cendres d’un monde dévasté par un virus mortel, lorsque l’humanité semble s’être consumée dans le désespoir. Une lumière émergea des ténèbres et réveilla l’âme bienveillante qui sommeille en chacun de nous.
L’isolement forcé a redonné un sens au collectif . Les conflits internes se sont estompés pour le bien commun.
D'abord le gouvernement local a pris des mesures rapides pour freiner la propagation du virus, conscient qu'avec une population aussi vulnérable, il était urgent de réagir vite. La Polynésie s’est confinée le 21 mars, seulement dix jours après le premier cas déclaré.
( Interdiction des échanges aériens et maritimes entre les îles, fermeture des frontières, etc…) *
Ensuite, le confinement a été relativement respecté sur tout le territoire. La peur historique des épidémies et surtout les liens familiaux importants, notre rapport aux personnes agées sont des facteurs culturels forts qui peuvent expliquer ce sens de l'intérêt général.
Avant tout, sur les îles les plus peuplées, notamment sur Tahiti centre économique du pays qui concentre 70% de la population. Sans un emploi on ne dispose pas d’un revenu nécessaire pour subvenir de manière digne aux besoins de sa famille, référence également indispensable pour être reconnu socialement. Une grande partie de la population est donc mise a l’écart et se marginalise : prolétarisation et inégalité sociale, pression démographique, essor des habitats spontanés et des logements sociaux.( bilan des interventions par le PC social de crise )
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Papa Tepa dans ses tarodières à RURUTU |
Alors que dans les archipels moins peuplés, les habitants peuvent encore disposer de ressources qui permettraient de satisfaire leurs besoins essentiels ( terres agricoles, chasse, pêche).
Le pêcheur estimé et respecté sur un atoll isolé des Tuamotu sera classé tout en bas de l’échelle sociale sur la grande île de Tahiti. La pauvreté est donc surtout une appréciation monétaire qui discrimine les individus en fonction de leur rémunération et non en fonction de leur utilité sociale.
Stigmatiser les populations vulnérables serait alors une erreur. Cela reviendrait par exemple à affirmer aux premières nations Nord américaines gangrénées par le chômage et l'exclusion sociale : " vous n'avez que ce que vous méritez ! ". Interprétation totalement erroné compte tenu du contexte historique et culturel évoqué précédemment.
Dans la grisaille d'un monde ravagé par une épidémie dévastatrice, toutes ces initiatives solidaires contribuent à garder le feu sacré de la vie. Une démarche mal comprise par les pessimistes , pour eux, c’est une quête impossible, ces derniers vont choisir de se mettre dans une posture d’immobilisme, de repli sur soi et de rejet de l’autre.
L’espoir lumineux incarné par ceux qui tendent la main est une vertu universelle commune à l’humanité, mais c’est aussi une aptitude propre aux peuples insulaires. Emmurées dans leurs îles, ces petites communautés ont appris à faire face à l’adversité grâce à la solidarité et à une économie de subsistance. ( Pêcheur de Raiatea qui fait don de ses poissons , pêche solidaire à Nuku-Hiva, solidarité à Hiva Oa )
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MAKATEA : Repas composé des aliments traditionnels cultivés dans le fa'apu |
Lors de mon séjour à Makatea, île très isolée ( pas d’avion, 1 goélette par mois, pas de réseau téléphonique, pas d’internet ) nous consommions principalement les ressources exploitées sur l’île. Les habitants vivaient en autarcie et en quasi -autosuffisance alimentaire. Compte tenu de leur isolement, les autochtones possédaient une aptitude naturelle à l’entraide et à l’action collective.
Après 15 jours d’isolement total à Makatea, les batteries rechargées par un régime alimentaire sain, loin de la pollution de Papeete. Le retour à Tahiti fut brutal, j’ai pris conscience de l’absurdité de notre mode de vie « moderne » lorsque j’ai fait des courses à Carrefour. J'avais la même expression que nos ancêtres autochtones un peu hébétés face aux occidentaux bizarres sur les vielles photo du XIXeme siècle. Déboussolée par la brutalité du contraste entre ce que j'avais vécu à Makatea où tout était plus simple et les excès de Tahiti. Je regardais ces longs alignements de produits au packaging colorés et racoleurs, qui finalement, n’avaient aucune utilité vitale.
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Cannibales des îles Marquises, vêtements faits de cheveux humains. Carte postale colorisée, photo F. Homes, vers 1900. |
Lorsque la pandémie mondiale est arrivée à Tahiti, nos îles isolées ont donc naturellement déclenché leur levier de survie et se sont prises en main sans attendre d’assistance extérieure.
Finalement, dans le chaos l’espoir est né des valeurs les plus pures de notre insularité. Dans ces petites communautés insulaires qui ont préservé un mode de vie traditionnel fondé sur l’autosubsistance, l’équilibre social et une propension à l’action collective. L’île cloisonnée protège ses habitants des menaces extérieures et leur offre une parfaite autonomie intérieure. Comme l’a démontré le bel exemple de l’île de Rapa.
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Mon petit bungalow à MAKATEA |
Nos îles peuvent légitimement nous inspirer sans pour autant faire l’éloge du mythe du bon sauvage vertueux, modèle d'une civilisation authentique encore à l'abri des vices de notre société. Je ne souhaite pas opposer l’occident corrompu et l’île paradisiaque des origines, idée largement véhiculée par la philosophie des lumières.
Nous ne pouvions pas rester figés dans le temps, sur nos forteresses rocheuses clôturées par l’horizontalité infinie de l’océan. L’assimilation à la société mondialisée est de toute façon irréversible, plutôt que de basculer dans les épanchements nostalgiques. Il est possible de s'inspirer des bénéfices de notre civilisation traditionnelle afin de surmonter le sentiment d’impuissance face à une menace importée, sans pour autant remettre en cause les avantages de la vie moderne.
( Les habitants de Makatea ou de Rapa restent dépendants du pouvoir centralisé de Tahiti par certains besoins essentiels comme la santé, l’éducation ou d’autres produits de première nécessité. )
* Un mois après notre confinement ( le 21 mars), on ne comptait que 55 cas de covid 19 ( pour 278 509 habitants ), aucun décès et surtout le virus n’a atteint que 3 îles ( Tahiti, Moorea, Rangiroa ) sur les 118 que compte la Polynésie ( 76 îles habitées).
Des chiffres rassurants, car la gestion sanitaire de la pandémie aurait été catastrophique compte tenu de l’isolement des archipels.
La vie reprend doucement dans nos îles .
Le regard d'une Polynésienne sur son pays: la Polynésie française.
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