Insularité

Covid 19 Tahiti-Les dérives de notre micro-société face au cauchemar planétaire

avril 17, 2020 Moana Iti 0 Comments





Lorsque le virus a atteint nos rivages le 11 mars 2020, il a créé une tension perceptible au niveau communautaire. Une peur justifiée par notre isolement géographique et la difficulté d’assurer une logistique sanitaire sur un territoire fragmenté d’îles et aussi vaste que l’Europe.


Ce virus est invisible, il tue, il contamine, sans états d’âme sans négociation, sans distinction de race, de religion ou de condition sociale. Le virus tue, mais a aussi révélé une humanité qui s’est consumée dans la peur et le rejet de l’autre. 

 Le mal s’est ainsi caché derrière un écran d’ordinateur où il est presque impossible de réprimer la sauvagerie et les dérives des internautes. Ces invisibles anonymes, qui se sont déchaînés sans états d’âme, sans négociation, sans distinction. Une autre menace a donc émergé des réseaux sociaux où, avec la distanciation virtuelle , l’émotivité va s’exprimer beaucoup plus que la raison.


Ce virus en devient infiniment plus terrifiant 


En regardant en direct à la télé le jeudi 9 avril l’intervention du Haut-Commissaire Sorain et du Président Fritch qui annonçait le prolongement du confinement. J’ai été surprise d’entendre une évolution dans leur discours, ils ont fait référence aux attaques dont ils ont fait l’objet notamment sur les réseaux sociaux. Les journalistes de TNTV l’ont aussi évoqué, on sent que malgré leur professionnalisme ils ont été ébranlé par le comportement irascible des gens. (  
publication Ramzy )


Ce jour-là, j’ai pris conscience du pouvoir des réseaux sociaux qui, même sur nos îles lointaines, ont réussi à déstabiliser les institutions les plus solides de notre pays.



Dans une saine démocratie, on peut se permettre de critiquer ses élus et ses institutions. Mais , avec l’arrivée du virus, les gens ont subitement été atteints d’une cécité morale qui semblait leur donner tous les droits.



Nous avons alors été témoins d’un enchaînement de situations tragiques dont la première victime a été la députée polynésienne Maina Sage. Par souci de transparence, l’élue avait accepté de lever le secret médical et de révéler publiquement qu’elle était le premier cas confirmé de covid 19 en Polynésie. L’Annonce diffusée le 11 mars a embrasé la toile. Maina Sage fut emportée dans une spirale de rage, de sang et de haine où l’homme a dévoilé sa nature la plus primitive. Maina Sage fut lynchée sur les réseaux sociaux, sa dignité de femme de mère, d’épouse, mise en lambeaux par des êtres en perdition aliénés par la peur.


Malgré toutes les mesures d’aide déclenchées d’urgence par le gouvernement pour répondre aux besoins de la population pendant cette crise sanitaire. Les institutions continuent de cristalliser les haines les plus bestiales. Teva Rohfritsch le vice-président local en a aussi fait les frais et a dû publier un communiqué sur sa 
page Facebook afin de dénoncer les discours rédhibitoires dont il a été la cible.



La démence collective s’empara ensuite des personnes atteintes du coronavirus, dont la majorité est localisée dans la grande agglomération urbaine de Papeete et sur Moorea. Mais, l’annonce le 28 mars par les autorités de deux cas confirmés à Rangiroa et à la presqu’île ont fini d’enflammer l’opinion publique et d’alimenter les rumeurs infondées les plus scandaleuses (
FAKE NEWS).



Lors de son allocution à l’assemblée territoriale, le président Edouard Fritch a qualifié les actes dont a été victime la députée Maina Sage comme « si nous étions revenus au moyen âge » . Effectivement, les évènements qui vont se succéder sont dignes de L’Inquisition. Le peuple perdu dans des ténèbres insondables va traquer les hérétiques et exiger qu’on dévoile le nom des cas confirmés. À croire que jeter ces pauvres victimes du covid 19 au bûcher va sauver leurs âmes en ruine enveloppées d’obscurantisme. Ces pratiques nous rappellent tristement le 
drame de Faaite. 



Puis, le 21 mars 2020, premier jour de confinement obligatoire en Polynésie. L’hystérie collective s’est acharné sur une poignée d’adolescents d’un quartier populaire. Ils ont eu le malheur d’exprimer leur désinvolture face à la caméra d’une journaliste qui diffusait les images de leur jeunesse oisive en direct sur Facebook. Le problème de Facebook Live c’est que la transmission quasi instantanée sur le net incite à la précipitation des réactions qui sont souvent d’une odieuse violence .

Comme des bêtes curieuses dans un zoo, cette population habituellement isolée dans leurs ghettos surpeuplés, a polarisé l’attention d’un média qui les a  exposé aux jugements haineux et arbitraires. Les internautes ont craché leur venin et dévoilé leur aversion pour cette communauté qui doit pourtant adapter le confinement à la réalité de leur condition de vie. 

Ce confinement si sacralisé par les moralisateurs virtuels est légalement et largement rompu pour permettre une libre circulation des citoyens qui doivent travailler ou faire leurs courses. La stigmatisation de ces jeunes semblait donc disproportionnée. 


Comme si l’ambiance n’était pas assez pesante, on a vu débarquer les escrocs cyniques qui ont exercé leurs talents sur les réseaux sociaux en se servant de la peur et des attentes d’un public d’une crédulité désarmante. Le 18 mars 2020 deux individus ont été arrêtés avec 1600 masques périmés qu’ils avaient commencé a revendre sur internet . Le 26 mars 2020 Tahiti info révélait Qu’un couple a été interpellé alors qu’ils vendaient de la fausse chloroquine sur les réseaux sociaux à 16 000 frcp l’unité.



Et puis lorsque cette communauté s’est retrouvée plongée dans l’obscurité, dans une situation qui semble sans issues face à cette crise sanitaire mondialisée. Elle a cherché une échappatoire, un refuge, une lumière qui pourrait les guider et sauver leur âme. 

Mais ces citoyens traumatisés n’ont trouvé que des chimères sur internet.

 Les charlatans en profitent pour vendre des potions magiques à un public plein d’attente. Le professeur Raoult est érigé en messie, ses fidèles se comptent en dizaine de milliers sur internet, convaincus que la rédemption viendra du remède miracle au goût amer : la fameuse chloroquine . Les faux prophètes, les militants politiques, les activistes environnementaux, les conspirationnistes balancent de sombres prophéties et des homélies teintées de démagogie. Chacun prêche pour sa paroisse afin d’enrôler les brebis égarées.

Les cyber activistes semblent presque se réjouir de cette catastrophe sanitaire pour faire de la récupération partisane.

Le 
Dr Van Mai Cao-Lormeau, éminente chercheuse polynésienne, a partagé sur son compte Facebook sa réflexion pleine de bon sens qui résume un peu la situation que nous vivons avec ce virus.


Pour conclure, cette crise sanitaire sans précédent a révélé la façon dont les individus réagissent lorsqu’ils sont confrontés à une menace résolument mortelle. Comment ne pas faire le parallèle avec les films post-apocalyptiques ? Dans un monde envahit par la peur, chacun veut sauver sa peau, c’est le règne de l’individualisme ( scènes de panique dans les commerces dévalisés ), les gens sont barricadés, masqués, l’autre devient un ennemi ( comme on l'a vu précédemment ), les opportunistes exploitent la faiblesse des autres pour servir leurs intérêts.


Comment ne pas perdre foi en l’humanité lorsque l’on observe les dérives d’un peuple qui se déshumanise à mesure qu’il se laisse envahir par la peur et la paranoïa ?


C’est dans ces moments difficiles qu’on apprend à interroger sa propre humanité.



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